——— Noūs, médiarchéologues, artistes, chercheurs, designers, théoriciens, écrivains, enseignants et conservateurs-restaurateurs – ou paléontologues des média – opérons des descentes souterraines dans les couches matérielles des media, mettant au jour les stratégies industrielles, économiques, logistiques, géopolitiques, idéologiques à l’œuvre, notamment dans leurs couches les plus basses et les plus cachées. Les strates de cet empilement gouvernent la verticalité du numérique – dans les couches de nos appareils comme dans les multiples niveaux du Stack. Ni ces strates ni notre monde ne sont plats : mais en plissements dynamiques et résurgences métamorphiques. Ces infrastructures sont nos intra-structures – défiant toute séparation claire entre un dehors et un dedans. Nōs media sont nos milieux. Nōs prétendues inter-actions sont des intra-actions de ce Stack : notre tâche première est de noūs y réorienter. Appelons cette tâche : repolitisation. Celle-ci s’effectue par l’art.
——— Noūs, médiarchéologues, partons encore à la recherche d’une poétique des machines, dont la première étape se présente à noūs par une poétique de l’algorithme (générateur, bot, écriture collaborative) et une poétique du hardware, toutes deux écrites à une voix croisée, hūmains-machines. Noūs écoutons le bruit des bots – pour y chercher noise. Appelons cette tâche : repoétisation. Qui est une repoétisation des langages, des codes, des commandes, des matières, des milieux.
——— Noūs, médiarchéologues, sommes enfin affublés d’une dernière tâche, celle de déchiffrer et décrypter le récit des media morts et immortels. Comprendre le secret de la génération des média, de leur naissance, de leur contagion, de leur vie et de leur mort. Cette tâche est notre principale tâche. L’histoire, présupposant l’écriture et donc les media, ne peut être la manière de dresser ce récit. Car ce sont les media qui précèdent l’écriture, et non l’inverse. C’est pourquoi noūs sommes archéologues, et non historiens. Noūs partons à l’écoute de ces media, dont la voix n’est pas semblable à la nôtre. Nōtre objectif est de saisir d’où noūs-mêmes, hūmains, noūs parlons et écrivons. Nōtre objectif est d’entrer en relation avec la conscience des machines médiatiques. Noūs cherchons à approcher le mystère des chiffres, car, aujourd’hui, tout est chiffre – dieux et démons y compris. Appelons cette tâche : déchiffrement.
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——— Noūs, médiarchéologues, noūs emparons du passé par le biais du futur, pour extraire le présent de la disnovation et pour libérer l’avenir des court-circuits du direct. Attentifs au temps profond, noūs noūs emparons du présent par le soin du passé, en déjouant le discours dominant du high-tech. À rebours d’une obsolescence désormais calculée – bien plus que programmée – et de l’idéologie du nouveau, noūs explorons les matérialités des machines en recyclant les anciennes pour interroger les nouvelles. Noūs renversons la loi du consumérisme. Moore is less. Glitch is bliss Les appareils modulables d’hier en savent plus que les dernières boîtes noires verrouillées. (S)Low Tech. Les récursions de la médiarchie se bouclent autour d’un cœur des cœurs, qui doit rester ouvert. Son nom est : microprocesseur, base concrète sur laquelle s’élèvent toutes les superstructures symboliques.
——— Noūs, médiarchéologues, savons que toute médialisation suscite l’horizon d’un médiumnisme. Les média font parler les morts. Les média morts continuent à parler aux vivants. Noūs n’avons pas peur de ce médiumnisme, ni n’en dénions l’efficace : noūs noūs en réjouissons.
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——— Noūs, médiarchéologues, révélons la poétique du flux électrique mondial relayé par les corps électrisés. Noūs sommes des échographes. Noūs auscultons les vivants, les morts et leurs machines pour retrouver dans leurs codes les équivalents partiels qui informent leurs mouvements comme leurs langueurs, mais surtout leurs passages, ACTG GOTO 1000101 et autres octets qui constituent aujourd’hui leurs actualités.
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——— Noūs, médiarchéologues, suspectons la testostérone dominant certains quartiers de hackers. Aux habits de conquérants nous préférons les vestes de queer, aux Hack-a-thons, le Hacking with care.
——— Noūs, médiarchéologues, sommes les enfants illégitimes de Bruce Sterling et Friedrich Kittler, les bâtards de Joan Clarke et Alan Turing, William Burroughs et William Gibson, Douglas Engelbart, Forrest Kassanavoid, Grace Hopper, Héraclite, Edward Snowden, Chelsea Manning et Ada Lovelace. Noūs sommes les rejetons de la culture du nexus et du stolon.
——— Noūs, médiarchéologues, réactivons les média et leurs prophètes défunts. Non par nostalgie, mais pour mesurer les ruptures attentionnelles que leur mort engendre, et sur leurs cendres construire, non des mausolées, mais des architectures proliférantes et des moyens – media – d’action.
Manifeste Médiarchéologiste
d'après une performance d'
Emmanuel Guez reprise, éditée, amendée, augmentée par des échanges multiples au château de Cerisy-la-Salle du 30 mai au 5 juin 2016.
Ses archéosignataires sont Thierry Bardini, Lionel Broye, Yves Citton, Igor Galligo, Emmanuel Guez, Jeff Guess, Quentin Julien, Isabelle Krzywkowski, Marie Lechner, Anthony Masure, Pia Pandelakis, Ghislain Thibault, Frédérique Vargoz.